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Sociologue, chargé de recherche au CNRS il s’intéresse depuis une quinzaine d'années à l'évolution de nos rapports aux animaux    et dits de compagnies. Ses travaux portent également sur la protection animale, les zoos, les mouvements de libération animale et le véganisme.

Le regard que l’on porte sur les animaux peut-il changer de la même manière entre un refuge, comme ceux de la SPA, et des associations comme L214 qui veulent aussi changer notre vision ?

 

 

Pour moi il y a une différence assez claire : le niveau d’action n’est pas le même entre la SPA ou 30 millions d’amis, qui secourent les chiens et mettent en place des institutions pour les accueillir, et puis des associations qui ne pratiquent pas ce type d’actions, et sont plutôt à des niveaux législatifs ou symboliques, pour diffuser dans le grand public que les animaux sont des êtres sensibles.

L’un de vos travaux les plus importants est une ethnographie (un domaine des sciences sociales qui étudie sur le terrain la culture et le mode de vie d’un milieu social donné) d’un refuge de la SPA. Pouvez-vous en expliquer comment elle s’est déroulée ?

 

 

J’y allais avec une question qui avait émergée dans mon travail précédent, lorsque je m’étais intéressé à l’expérience de la visite du zoo et à l’image de l’animal que les visiteurs ont. Il était ressorti cette idée que le zoo était une forme de « mal nécessaire ». Que l’animal était un être sensible et qu’il ne devait pas forcément être enfermé contre son gré, mais en même temps il y avait la conscience que dans leur écosystème, ce sont des animaux qui subissent la prédation… Je trouvais que c’était une idée à creuser, parce que justement ce sont des lieux un peu ambivalents. Par exemple le refuge dans lequel j’ai fait mon ethnographie pratiquait l’euthanasie, et donc ça m’intéressait de voir comment cohabitait cet idéal protecteur avec cette nécessité de gestion au quotidien des animaux dans des conditions problématiques, par exemple lorsqu’ils sont jugés comment n’étant pas plaçables.

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Je faisais cette séparation là même si elle est un peu artificielle, car la SPA oeuvre aussi pour l’évolution des lois. On voit une sorte de deuxième vague de protection animale, certaines associations comme la fondation pour le droit des animaux sont plus déconnectés de l’action quotidienne, de la prise en charge des individus-animaux sauf exception comme le FLA (Front de Libération Animale) qui pratiquait l’action directe. Ces associations étaient plus dans un rapport, dans une lutte d’idées pour les animaux. Mais de fait avec le développement des refuges antispécistes qui est assez récente, cette séparation là commence à être un peu plus artificielle. C’est nouveau mais par contre c’est totalement cohérent avec l’histoire de la protection animale, avec une attention sur la souffrance de certains individus-animaux.  

On a tendance, surtout en France ces dernières années avec le développement du véganisme, les actions de L214… à considérer qu’il y a une vraie rupture dans ce mode d’actions, dans ce discours qui est porté par ces associations et qui est vu comme étant totalement déconnecté des formes antérieures de protection animale.

Mais il y a quand même des liens historiquement et on constate avec le développement des refuges antispécistes qu’on est toujours sur de la protection animale. Par contre c’est ce qui distingue les mouvements pro-animaux des pro-environnement, où il est question de sauvegarder des espèces au nom de leur survie. Quand vous amenez un rapace dans un refuge il est sensé être soigné puis relâché, il faut le remettre dans son milieu naturel. Ce sont deux philosophies assez différentes.

Les refuges pour animaux de ferme qui ouvrent leurs portes au public, c’est aussi une manière de faire changer le regard que l’on a sur eux ?

 

Là aussi c’est intéressant, car on essaye justement de montrer la réalité de l’animal. Avec à la fois des vertus pédagogiques, comprendre comment fonctionne un animal, mais aussi souvent un but moral, montrer en quoi c’est important de bien traiter les animaux. Le pari commun de ces formats de visite c’est cette idée que le contact direct permet de changer le regard que l’on a. Je me suis demandé quel était le type de discours lors de ces visites, est-ce que l’on est sur un discours plutôt pour mettre en avant la proximité entre les humains et les animaux ? Ou plutôt pour dire que tous les animaux sont différents et il faut les respecter pour leurs différences ?

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Et sur l’importance des interactions avec les animaux ?

 

Le fait de qualifier un animal « d’être interactif » ce n’est pas anodin. J’avais participé à un évènement où on nous avait demandé d’aller « rencontrer un troupeau de vaches ». Il s’agissait d’être avec un éleveur qui commentait et j’avais été frappé parce qu’il avait commencé par nous dire « je vais vous apprendre comment ça marche une vache ». Intuitivement je m’attendais à un discours zootechnique, elle broute de l’herbe, elle rumine, elle produit du lait… ce type de discours on l’a eu pendant longtemps. Mais là c’était comment la vache perçoit le monde, comment elle nous perçoit nous humais et comment on allait devoir marcher, au sens littéral du terme, pour que quand on l’approche elle ne soit pas apeurée. Il y avait tout un discours éthologie qui m’avait semblé assez inédit, et qui changeait du discours classique « salon de l’agriculture ». Je suis assez attentif à la diffusion du discours éthologique, comportemental sur l’animal, et sur comment il influe sur nos rapports aux animaux, dans le sens de leur respect, de ce qu’ils sont, et de la manière dont ils voient le monde. Ce n’est pas anodin qu’il se développe, c’est signe que les choses changent. Je serais curieux de voir comment ces discours vont se développer dans le futur.

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Ce qui m’a surtout intéressé c’est l’organisation spatiale du refuge, et comment elle permettait d’alléger cette tension morale apparente, et j’avais notamment décrit les 3 espaces : le premier c’est l’accueil où s’affichait les idéaux protecteurs de la SPA, c’est là que l’identité sociale de l’animal était consigné. Le second espace ce sont les boxes où les rapports aux animaux étaient plutôt vus par leur comportement, indépendamment de leur histoire. Là c’est une autre forme de cadrage de l’animal, où c’est uniquement son comportement qui importe. Et enfin une troisième zone, qui correspond à l’infirmerie, dans ce refuge-là, la fourrière municipale. Là effectivement, l’animal était plus vu en tant que corps, qu’entité biologique, c’est là qu’on le soigne, qu’on lui met sa puce mais aussi qu’on l’euthanasie. Quand il y a une décision d’euthanasie, les arguments se prennent en fonction de l’autorité professionnelle de chacun des intervenants, et certains peuvent s’y opposer.

En venant de l’extérieur, quel regard on a quand on visite un refuge ?

 

Ce qui est frappant quand on a accès à la zone des boxes, qui n’est pas ouverte à tous puisque ce n’est pas la meilleure pub pour la SPA : c’est du ciment brut, des cages qui sont ouvertes… On est assailli par les comportements des chiens, qui viennent sur les grilles, qui aboient, qui sautent, qui se répondent entre eux… Il y a une interaction directe et les chiens aussi sont en demande de contact, et quand il y a un humain qui passe on va lui sauter dessus. Mais j’avais un collègue qui me disait, lorsque l’on visite un refuge si les chiens n’aboient pas c’est bon signe, ça veut dire qu’ils sont bien. De fait on peut se poser la question : est-ce que les comportements des chiens ne suscitent pas de la compassion, de l’attendrissement et donc de l’interaction entre l’humain et l’animal qui pourrait être l’élément déclencheur de l’adoption ? Il m’est avis que le dispositif doit avoir une influence certaine dans le comportement des animaux et des humains. C’est pour ça que les zoos s’y intéressent aussi, avec du plexiglas, l’augmentation de la taille des enclos…